La vie est comme une rose. [PV. Nuage des Sirènes]

La chaleur de cette journée se faisait ressentir. Je voyais les chats du clan se serrer dans chaque coin d'ombre qu'offraient les arbres. D'autres, au contraire, faisaient dorer leur fourrure au soleil. En cette heure de Partage, mes camarades se faisaient la toilette en dévorant une pièce de gibier. Allongé à l'ombre d'un chêne avec ma mère adoptive, je regardais le ciel d'un bleu limpide, nullement gâché par les nuages.
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Je baissai les yeux. En face de moi, de l'autre côté du camp, une jeune chatte était seule. Assise dans un coin, elle faisait sa toilette. Moi aussi, je n'ai pas d'autres chatons avec qui partager ce moment, ai-je pensé sur le moment. Je me souvenais d'elle. Elle était dans la pouponnière à ma naissance. Je ne me souvenais pas de l'avoir vue si sombre. Je m'approchai d'elle. J'entendais les commentaires des autres membres du clan. Elle ne devait pas avoir beaucoup d'amis.

▬ Salut. Je peux m'asseoir ?

Je ne savais pas comment elle allait répondre, mais ce qui est sûr, c'est que je ne m'attendais pas à ça..

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Nuages des Sirènes avait relevé la tête.

▬De toute façon c'est presque déjà fait non ? Qu'est ce que tu me veux ?

Elle m'avait semblé essoufflée, comme si elle avait retenu sa respiration pendant longtemps. Peut-être qu'elle était malade ? Aile de Crécerelle avait dû  lui donner quelque chose déjà. J'avais ignoré le problème et m'étais assis à ses côtés, de façon à la voir mais sans lui faire d'ombre. Je ne me laissais pas démonter. Cette chatte avait un problème, elle avait besoin d'aide.

▬ Tu es toujours toute seule, tu n'aimes pas tes camarades ?

J'avais demandé ça naturellement, ça m'avait semblé la seule explication plausible, sur le coup.

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Puis je m'étais souvenue d'une histoire de la pouponnière. On disait que Nuage des Sirènes portait malheur, parce que sa mère, son père et sa soeur unique étaient morts peu après sa naissance. Moi, je n'écoutais jamais les grands, parce que des fois ils parlaient de moi, et que je pensais que c'était mieux de ne pas savoir, à mon avis. Finalement, je m'étais dit que c'était peut-être pour ça qu'elle était triste. Je me rappelais vaguement d'elle et de sa soeur, jouant dans la pouponnière avec nous, puis un jour, il n'y avait plus que Nuage des Sirènes, et elle ne jouait plus avec nous. C'était triste, je ne voulais pas que les autres souffrent. Alors je lui avais demandé :

▬ C'est parce que tu n'as plus de famille que tu es toujours triste ?

J'avais parlé assez doucement. Si elle voulait que ça reste secret, autant que les autres n'entendent pas ce qu'on se disait. Je trouvais dommage qu'une apprentie aussi joviale qu'elle devienne si sombre. Est-ce que j'aurais été pareil si mes frères et soeurs étaient morts plus tard ? Je ne me souviens même pas d'eux, alors je ne suis pas triste, même si j'aurais bien aimé ne pas être seul.

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Je me souviens encore de sa rage à ce moment-là.

▬Tais-toi ! Tu ne sais rien de ma tristesse, tu ne sais rien de ma famille ! Avait-elle feulé.
Les chats du clan nous fixaient, étonnés. Nuage des Sirènes plongeait les griffes dans la terre. Elle semblait perdue dans ses souvenirs. Je m'étais demandé si elle pensait à son frère. Comment s'appelait-il déjà ? Petite Mer ? Petit Océan, plutôt, je crois.

Je ne pouvais pas dire que je connaissais sa tristesse et ses souffrances, mais je pouvais les comprendre et les analyser. J'avais supposé que c'était la mort de ses proches qui la rendaient comme ça, et j'avais apparemment bien supposé. Je me souviens avoir décidé d'être franche.
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▬ Je ne peux pas dire que je ressens tes sentiments, mais ils me paraissent fondés. On m'a raconté ce qu'il t'est arrivé. Je vais pas te faire la morale, juste te donner mon avis, si tu veux bien m'écouter.

J'avais fait une pause pour réfléchir. Je me doutais qu'elle devait penser ce genre de choses : "A quoi cela sert-il d'avoir des proches, de lier des amitiés, si c'est pour les perdre." J'étais trop jeune à l'époque pour me dire ça. Après tout, c'est la vie, avais-je pensé. Si j'avais perdu ma famille un tout petit peu plus tard, j'aurais sûrement pensé la même chose. J'étais son futur guérisseur, je devais soulager ses souffrances, autant physique que morales, c'était mon rôle, et je me sentais assez intelligent pour le remplir.

▬ La vie d'un guerrier est semée d'embûches, il est habituel que certains y perdent la vie. C'est une habitude à prendre...

Avais-je murmuré pour moi-même, avant de me rendre compte des horreurs que j'ânonnais. Comment pouvait-on s'habituer à perdre des amis, des proches, sans rien dire ?

J'espérais fortement qu'elle n'avait rien entendu. Elle était susceptible, peut-être même plus très stable mentalement, je ne devais surtout pas l'énerver. Ce n'était pas mon but, je voulais juste l'aider. Heureusement, il y avait peu de chances qu'elle m'ait entendu.

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Je m'étais arrêté net. Mes oreilles s'étaient couchées sur mon crâne, et ma queue s'était baissée.

▬ Tu te rend compte de ce que tu dit ?! T'es qui pour dire ca ? Un chaton, un puta** de chaton qui ne sait rien ! AH oui, tout est beau dans la pouponnière, bah désoler de te décevoir, la vie est pas toute rose. Dégage si tu veux pas perdre ta fourrure.

Je n'avais jamais vu un chat dans un tel état. J'étais horrifié par ce que je venais de dire. Je ne voulais pas mettre un membre de mon clan dans un tel état de rage. Alors, je fis ce que jamais je n'avais fait alors. Devant tout le clan qui, attentif, se demandait comment j'allais m'en sortir, mais aussi et surtout devant Nuage des Sirènes, je m'étais incliné. C'était ce qui m'avait semblé la meilleure chose à faire, à cet instant. Je n'étais pas un simple chaton turbulant qui se mêlait de ses affaires. J'étais le futur guérisseur de ce clan et il fallait bien que je renoue les liens avec elle.


▬ Je t'assure que je ne pensais pas ce que j'ai dit. D'ailleurs, c'était vraiment horrible de ma part, surtout que je ne le pense pas.

Je fis une pause, mais elle ne dit rien.


▬ Nuage des Sirènes, je m'excuse. Tu as tant dû souffrir, et personne ne s'en est rendu compte ici. Je m'excuse au nom de tout le clan.

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Ce n'était pas seulement mon honneur qui était en jeu, c'était tout le clan. Comment ses membres avaient-ils pu ne pas voir comment la mort de sa famille avait transformé la jolie apprentie. Je n'étais qu'un chaton, et pourtant, je me sentais le seul capable de l'aider, à cet instant.

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